Le Dilemme du Capitaine est une illustration d’une situation psychologique à laquelle peuvent être confrontés les décideurs. Elle met en évidence l’influence de l’imputabilité de responsabilité sur le processus de décision. Cet article analyse les déterminants psychiques qui y sont liés, grâce aux apports de la thérapie interpersonnelle (TIP) et de la thérapie cognitive et comportementale (TCC).

Rédacteur « Le Dilemme du Capitaine »: Dr Nicolas Neveux, Psychiatre à Paris, formé en Thérapie Cognitive et Comportementale (AFTCC) et en Thérapie Interpersonnelle (IFTIP), Membre du Collège National Professionnel de Psychiatrie, mail: dr.neveux@gmail.com
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L’essentiel

 

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I/ Responsabilité et processus de décision

La façon dont l’être humain fait ses choix est un sujet d’études théoriques depuis plus d’un siècle. Les études ont montré l’influence de différents facteurs psychologiques sur le choix final. La forme la plus opératoire de choix est bien sûr l’évaluation du bénéfice et du préjudice, estimés rationnellement. Dans ce cas, le choix retenu sera celui apportant la meilleure plus-value perçue par l’individu.

Mais beaucoup de paramètres non-rationnels influencent ce choix.

Citons, de manière non-exhaustive

  1. les biais cognitifs. Ce qui influence le choix n’est pas le bénéfice et le préjudice réels mais le bénéfice et le préjudice perçus. Ce qui signifie que si l’appréciation de l’individu est erronée, il va effectuer un choix qu’il croira raisonnablement le meilleur mais qui en fait ne le sera pas.
  2. la soumission à l’autorité. La difficulté à se confronter à l’autorité induit l’individu à privilégier le choix conforme aux attentes de l’autorité (expérience de Milgram).
  3. le conformisme. L’être humain a tendance à se conformer au choix du plus grand nombre.
  4. l’attachement. L’individu privilégie le choix favorisant la personne ou l’objet auquel il est attaché.
  5. l’aversion au risque. L’individu privilégie ce qui l’expose au moindre risque de perte. (Kahneman)
  6. l’aversion à l’incertitude. L’être humain déteste l’incertitude et l’imprévisibilité. Il a tendance à faire le choix qui le maintient dans la zone connue.
  7. l’économie émotionnelle. Le choix préférentiel est celui qui crée le moins d’émotion désagréable à court terme, quitte à créer plus de dégâts rationnels et émotionnels sur le long terme. Il est en grande partie dû au fait que l’esprit humain à du mal à favoriser le spéculatif par rapport au concret immédiat. Un « tiens » vaut mieux que deux « tu l’auras », n’est-ce pas ?
  8. aversion à l’effort. On privilégie le choix menant au moindre effort.
  9. l’imputabilité de la responsabilité. L’individu favorise le choix entraînant le moins de responsabilité qui lui soit imputable.

Le Dilemme du Capitaine illustre l’influence de l’imputabilité de la responsabilité dans le processus de choix. Cet article ne s’intéresse qu’à étudier ce facteur d’influence sur le choix.

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II/ Le Dilemme du Capitaine

A/ Enoncé du dilemme psychique

Le plus simple est d’exposer la situation théorique du Dilemme du Capitaine, telle qu’énoncée par le Dr Nicolas J. Neveux.

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Un Capitaine de vaisseau doit acheminer une cargaison de vivres à un fort abritant 100 soldats. Le fort est bâti sur un îlot rocheux, sans aucun moyen de subsistance propre. De ces vivres dépendent la vie ou la mort de ces 100 soldats. Sans ces vivres, les soldats mourront de faim. Pour naviguer, il a sous ses ordres 10 marins, qu’il n’apprécie pas.

Malheureusement, en chemin, le bateau est détruit par une tempête. Le Capitaine fait mettre la chaloupe à la mer. Il sait que son bateau va sombrer en 20 minutes. En 20 minutes, une seule action est possible. Il a alors un choix: soit il sauve son équipage, mais laisse couler la cargaison, soit il sauve la cargaison mais sacrifie ses marins. Si la cargaison coule, il est sûr de sauver ses hommes, mais condamne les soldats à une mort certaine. S’il sacrifie son équipage, il est sûr de sauver la cargaison, et donc les soldats. La question est alors: quelle décision le Capitaine va-t-il prendre?

B/ Hypothèse d’une décision purement raisonnable

1/ Cas 1

Si le Capitaine résout le dilemme en sauvant les soldats, il condamne son équipage.

2/ Cas 2

Si le Capitaine résout le dilemme en sauvant son équipage, il condamne les soldats.

3/ Solution purement raisonnable

Dans le cas de figure où le Capitaine retenait la solution la plus pragmatique, il devrait privilégier la solution qui sauve le plus de vies humaines.

C/ Influence de la responsabilité dans le choix du Capitaine

Mais en fait la décision du Capitaine n’est pas aussi simple, car l’imputabilité de la responsabilité influence son choix.

Examinons l’énoncé du dilemme. Il n’y a pas d’autre facteur d’influence:

  1. aucun biais cognitif de perception: le Capitaine a une vision réaliste de la situation
  2. aucune autorité ne lui enjoint d’agir d’une façon ou d’une autre
  3. pas de conformisme
  4. il n’a pas d’attachement particulier pour les marins ni pour les soldats
  5. les deux choix sont soumis au même risque de perte (100% de gain et 100% de perte à chaque fois)
  6. les issues sont certaines à chaque fois
  7. les émotions seront comparables
  8. les efforts à fournir sont identiques

Le seul point fondamentalement différent entre le cas 1 et le cas 2 est l’imputabilité de la responsabilité.

1/ Cas 1

Si le Capitaine résout le dilemme en sauvant les soldats mais en condamnant son équipage, la mort des marins lui sera directement imputable.

2/ Cas 2

Si le Capitaine résout le dilemme en sauvant son équipage mais en condamnant les soldats, la mort des soldats lui sera moins directement imputable. Dans ce cas, il y aura en effet une dilution de la responsabilité. Son choix ne sera que l’un des facteurs ayant conduit à la mort des soldats. En effet, dans ce cas on pourrait incriminer:

  • le manque d’anticipation du commandant du fort qui n’a pas prévu les vivres suffisantes
  • la malchance qui a entraîné le naufrage
  • l’imprudence de l’amiral qui n’a envoyé qu’un seul bateau chargé de vivres.
  • etc…

III/ Explications du dilemme du Capitaine

A/ Approche en thérapie interpersonnelle (TIP)

La responsabilité amène le Capitaine à devoir:

  1. répondre devant sa conscience
  2. répondre devant la justice des hommes

Le point 1/ met en jeu son besoin d’accomplissement et d’identité.

Le point 2/ met en jeu son besoin de sécurité, d’accomplissement et d’identité.

En conséquence, derrière cet enjeu de responsabilité, le Capitaine voit des besoins fondamentaux menacés du fait de la décision qu’il prendra.

Dans cette approche TIP, il est prévisible que le Capitaine soit tenté de protéger ses besoins.

Cheminement mental:

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Il y a donc de fortes chances que le Capitaine choisisse l’option qui lui imputera le moins de responsabilité.

B/ Approche en thérapie cognitive et comportementale (TCC)

Des pensées automatiques, fondées ou non, interpellent le Capitaine sur les dangers qu’il courra s’il expose sa responsabilité. Elles concourent également à rappeler la dilution de responsabilité, réelle ou supposée, qui existera si les soldats meurent.

Or en TCC, on sait que l’être humain tend à éviter le danger immédiat s’il le peut, et que les pensées automatiques ont tendance à pousser la décision en ce sens.

Il y a donc de fortes chances que le Capitaine choisisse la voie qui lui imputera le moins de responsabilité.

C/ Conclusion

L’esprit humain tend à privilégier l’option qui lui imputera le moins de responsabilité. Toutefois, ce n’est qu’une tendance, ce n’est pas systématique. La façon dont se comportera un individu donnée n’est pas prévisible. En effet, il existe une grande variabilité inter et intra-individuelle.

D’autres facteurs peuvent influencer le Dilemme du Capitaine (attachement affectif à son équipage, loyauté  supérieure envers son équipage qu’envers les soldats…). Ces facteurs sont donc susceptibles d’influencer la décision du Capitaine.

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IV/ Applications du dilemme du Capitaine

La situation théorique du dilemme de Capitaine est surtout une mise en garde à l’usage des décideurs.

Le risque est grand pour eux d’être influencé par la tentation d’aller à ce qui lui permettrait une moindre responsabilité.

N’importe quelle personne en situation de décision peut être amené à vivre le dilemme du Capitaine:

  • responsable politique
  • chef d’entreprise
  • médecin

Ainsi, tout décideur peut être pris dans ce dilemme sans même s’en rendre compte. Il est donc essentiel de conscientiser ce dilemme afin de s’en affranchir.

 

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Fait à Paris 16 par un psychiatre et un psychologue.

 

Bibliographie

Daniel Kahneman et Amos Tversky, « Prospect Theory: An Analysis of Decision under Risk », Econometrica, vol. 47, no 2,‎ , p. 263-291.

Image par Gerd Altmann, Yuri_B.